Comprendre les Mécanismes Monétaires à l’origine de la révolte des Gilets Jaunes

Comprendre les Mécanismes Monétaires à l’origine de la révolte des Gilets Jaunes

Paradoxe

Les quarante dernières années ont été le témoin de très profonds changements dans l’économie française. L’émergence de vastes réseaux de communication et de transport a permis l’éclosion d’échanges commerciaux mondialisés. Une quantité croissante de biens de consommation courante bénéficiant d’une main d’œuvre à bas coût sont venus inonder notre marché national. En parallèle, l’essor du numérique et de l’informatique a transformé les moyens de production des entreprises sur place. Dans l’industrie avec la robotisation accrue des chaînes de montages et dans les services par l’émergence des logiciels informatiques. Ces deux phénomènes d’informatisation et de mondialisation ont eu pour effet d’augmenter la productivité des entreprises c’est-à-dire leur permettre de produire plus pour moins cher.

En suivant les préceptes néolibéraux d’une économie concurrentielle qui régissent notre économie depuis les années 80, théoriquement, cette compétitivité accrue aurait dû se répercuter positivement dans la société via une baisse des prix. Un phénomène que nous pourrions appeler de déflation vertueuse synonyme de plus de pouvoir d’achat pour les particuliers et de coûts de fonctionnement et d’investissement moindres pour les entreprises et l’État.

Paradoxalement, les Français ont dans leur très large majorité le sentiment inverse. Ils perçoivent un coût de la vie de plus en plus cher et des salaires qui stagnent. En parallèle, les taxes et les impôts atteignent des seuils que l’on pourrait qualifier de confiscatoires et cela alors que les services publics sont en recul partout sur le territoire. Cela nourrit un fort sentiment de déclassement et d’abandon qui touche plus particulièrement les classes moyennes et populaires. La révolte des Gilets jaunes qui touche la France depuis trois mois n’est que l’expression de ce profond malaise qui couve depuis plusieurs années.

Comment expliquer cette contradiction ? Instinctivement, on se dit que la réponse vient de richesses mal réparties, les gains de productivité allant exclusivement aux plus riches. Ceci est vrai mais insuffisant pour comprendre les mécanismes en cours. En effet, la France n’est-elle pas un des pays de l’OCDE qui a la politique la plus généreuse en termes de redistribution [1] et où la dépense publique dépasse les 50 % du PIB [2] ?

En réalité, un mal plus profond nous ronge et celui-ci vient de la façon dont notre monnaie est gérée. Pour comprendre ce phénomène, nous allons dans un premier temps dévoiler les méthodes de calcul de l’inflation en France. Ce qui nous permettra de démontrer que la mesure est complètement faussée et que l’inflation explose en réalité. Nous chercherons ensuite à comprendre d’où vient cette forte inflation en détaillant la logique déséquilibrée et sans limite qui sous-tend la création monétaire. Nous verrons également pourquoi aucun garde-fou n’existe réellement pour l’endiguer. Nous expliquerons enfin le paradoxe soulevé dans cette introduction, c’est-à-dire la contradiction entre des gains de productivité en hausse du fait de différents facteurs (immigration, ubérisation, libre-échange, etc..) et un coût de la vie qui explose pour les Français mettant en danger leur qualité de vie. Cela nous permettra de comprendre que les mutations brutales imposées aux Français depuis quarante ans sont en réalité l’unique moyen de survie d’un système monétaire et financier engagé dans une véritable fuite en avant.

1- L’arnaque du calcul de l’inflation

Opacité

L’INSEE en charge du calcul officiel de l’inflation est formel, celle-ci est maîtrisée en France avec un objectif annuel contenu de 2 % par an. Problème, nous sommes obligés de le croire sur parole, aucune autre source n’existant. Or il est important de noter que d’un point de vue juridique, l’INSEE n’est pas un organisme indépendant doté d’un conseil d’administration hétérogène. C’est un organisme d’État administré par des fonctionnaires indirectement affiliés aux gouvernements. Et lorsqu’on se penche sur la méthodologie de calcul, on remarque bien vite un manque de transparence. Le panier de biens et services utilisé comme étalon de mesure des variations de prix n’est pas disponible librement sur Internet, il est volontairement tenu secret. Pour l’obtenir, il faut faire une demande écrite et justifier sa demande laissée au bon vouloir de l’INSEE. Officiellement cette opacité est justifiée afin d’éviter d’éventuelles ingérences d’acteurs économiques, tels les centres commerciaux, qui pourraient venir parasiter le calcul par des actions volontaires sur les prix des biens et services concernés. Cependant, tout travail de contrôle statistique sérieux fait par un organisme indépendant sur la véracité des chiffres publiés ne peut être fait sans dissiper une suspicion de manipulation. Et lorsque l’on regarde de plus près les hypothèses de calcul retenues, il y a de quoi être suspicieux. Nous ne mentionnerons ici que les deux points les plus frappants mais il y aurait encore beaucoup à dire.

Effet qualité

Tout d’abord l’INSEE estime que l’amélioration de la qualité des produits par l’innovation et le progrès technique doit être pris en compte dans le calcul des prix. Prenez un téléphone haut de gamme d’une célèbre marque californienne, d’une version à l’autre, les prix augmentent traduisant l’accroissement des performances du téléphone. L’INSEE par des calculs complexes atténue volontairement le poids de cette augmentation dans l’indice des prix par ce qu’il justifie par un « effet qualité ». En d’autres termes, il estime que ce n’est plus tout à fait le même bien, dès lors il ne peut pas prendre de manière brute la différence de prix. Néanmoins, le besoin auquel répond le téléphone est presque exactement le même : téléphoner, envoyer des e-mails, surfer sur Internet et utiliser des applications. La même logique s’applique pour un jus d’orange ayant plus de qualité nutritionnelle que le précédent ou une voiture proposant plus de sécurité. Et on peut multiplier les exemples comme ceci. On le voit, c’est donc une hypothèse loin d’être anodine car touchant tous les produits de consommations courantes. Par cette méthode, l’INSEE nie une augmentation réelle des prix par un concept pour le moins abstrait dont la méthodologie d’application paraît totalement arbitraire et la justification très souvent infondée.

Pondération du logement

Dans son calcul de l’inflation, l’INSEE utilise des coefficients de pondération censés représenter au mieux le panier moyen des consommateurs. Lorsqu’on regarde de près les indices, on ne peut qu’être surpris par le poids alloué au logement. Tout d’abord dans le cas d’une acquisition immobilière, même pour résidence principale, il est tout simplement absent ! En effet, l’INSEE considère que c’est un placement financier et non pas un bien de consommation. Et donc même si le poids des échéances se fait obligatoirement plus lourd pour les accédants, à la revente ceux-ci récupéreront leur mise. Hypothèse là encore très discutable car les intérêts sont touchés par les banques et ne viennent donc pas enrichir les emprunteurs. C’est plus de la moitié de la somme remboursée pour un crédit de 25 ans. Pour les locataires, ce n’est guère mieux, le coefficient de pondération alloué au logement est de 6 % ! Prenez le salaire moyen des Français, 2 250 euros, cela voudrait donc dire qu’en moyenne les Français dépensent 135 euros par mois pour se loger. Cette hypothèse ne tient pas. Les études montrent qu’au contraire le logement occupe un poids toujours plus écrasant pour les Français au point d’en faire loin devant tous les autres le premier poste de dépense des ménages. [3].

Inflation réelle

Il est donc légitime de s’interroger sur la véracité des chiffres de l’inflation calculée par l’INSEE. Le calcul est fortement biaisé par des hypothèses discutables et masque ainsi la réalité de l’augmentation des prix en France ressentie de plus en plus durement par les Français qui voient leur pouvoir d’achat s’effondrer. Sans rentrer dans des études statistiques complexes, on constate simplement que :

1- Les prix de l’immobilier dans les centres-villes ont explosé depuis une vingtaine d’années obligeant les classes moyenne et populaire à s’éloigner dans le péri-urbain ;

2- Faire son plein d’essence représente aujourd’hui pour beaucoup de ménages une charge, ce qui les oblige à limiter leurs déplacements ;

3- Les enseignes de hard discount explosent où l’on vend des aliments à très bas prix au détriment de leur qualité.

Dès lors, il faut s’interroger : d’où vient l’augmentation des prix ? Pour répondre à cette question, il est impératif de comprendre comment l’argent est fabriqué.

2- L’argent dette, un système déséquilibré et sans limite

L’argent dette

Aujourd’hui l’essentiel de la monnaie qui circule dans notre économie le fait sous forme scripturale c’est-à-dire qu’elle circule par un simple jeu d’écriture, électroniquement, sans support tangible tels les billets et les pièces.

Cette masse monétaire n’est plus adossée à un support physique comme l’or ou l’argent mais quasi exclusivement sur la dette. Elle est donc constituée d’emprunts contractés par les agents économiques, particuliers, entreprises, collectivités, et même de l’État auprès des banques privées.

À chaque fois qu’on s’endette, la banque crée ex nihilo, c’est-à-dire par simple jeu d’écriture, à partir de rien, l’argent nécessaire pour financer la demande de crédit. Pour les défenseurs de l’argent-dette, les banques ne créent pas véritablement de la monnaie, elles ne font qu’accroître sa vitesse de circulation dans l’économie permettant ainsi une croissance plus forte en répondant au besoin de financement des acteurs économiques sans se soucier de l’épargne disponible.

Effectivement, au fil des échéances de remboursement, la banque procède à une destruction de monnaie, c’est-à-dire qu’elle supprime progressivement, dans ses comptes, l’écriture relative au crédit. Cette destruction ne concerne cependant que le capital, soit le montant emprunté. Les intérêts, eux, vont venir s’inscrire au résultat de la banque. Subsiste donc une création monétaire au profit des banques, adossée sur aucune création de valeur, ce qui est source de déséquilibre.

Cavalerie

Lorsque l’on s’endette, c’est pour financer une dépense ; et son remboursement est possible grâce aux fruits de notre travail matérialisé par des rentrées d’argent provenant d’autres acteurs économiques : le salaire pour un particulier, le bénéfice sur la vente de biens et de services pour une entreprise. L’économie d’un point de vue global doit donc disposer d’une masse monétaire suffisante pour répondre aux besoins de tous ses acteurs. Toutes choses égales par ailleurs, le remboursement du capital d’un crédit ne pose pas de problème dans la mesure où la banque a créé l’équivalent en monnaie lors de son octroi.

Mais qu’en est-il des intérêts ? Ces derniers n’ont fait l’objet d’aucune création monétaire équivalente de la part de la banque. Leur paiement implique forcément l’accroissement de la masse monétaire par l’endettement d’autres acteurs économiques. On comprend aisément que, de la sorte, le problème n’est que repoussé car l’équation globale, au niveau macroéconomique, n’est jamais résolue. L’argent nécessaire au remboursement des emprunts, capital plus intérêts, sera toujours supérieur à la monnaie disponible pour le faire.

Ce point est crucial car il explique le déséquilibre intrinsèque au concept d’argent-dette qui s’apparente à une gigantesque cavalerie : les emprunts contractés appellent obligatoirement d’autres emprunts pour pouvoir être remboursés. L’endettement global de l’économie n’a donc pas vocation à être résorbé, bien au contraire, son expansion est le gage de sa survie. Dans un tel système, tous les experts qui prétendent que la priorité doit être le désendettement sont, soit des incompétents, soit des menteurs. Théoriquement il est censé exister des garde-fous à la logique de l’argent-dette, nous allons voir cependant que ceux-ci sont largement inopérants.

Conflits d’intérêts

Le privilège des banques de créer de la monnaie à partir de simples jeux d’écritures est encadré par la loi. Afin de protéger les épargnants, le régulateur les soumet à une exigence de fonds propres. Leur ratio de solvabilité, c’est-à-dire le rapport entre capitaux propres et l’encours des crédits alloués, doit être inférieur à 8 %. Concrètement, et en vulgarisant, cela veut dire qu’une banque qui possède 100 milliards de capitaux propres ne peux dépasser au total 1 250 milliards de prêts. Dans le détail, les choses sont plus complexes. Les emprunts sont classés selon leur profil de risque, auquel on attribue un coefficient de pondération ce qui permet par exemple aux prêts non performants, c’est-à-dire ceux pour lesquels les chances de remboursement sont faibles, d’avoir, à proportion égale, un poids plus important dans le calcul des encours. À l’inverse, les prêts dits performants ne représentent presque rien.

On le devine, en introduisant de la subjectivité, on ouvre la porte aux abus [1]). Cela est d’autant plus vrai que le régulateur permet aux grandes banques d’utiliser leur propre modèle de calcul de risque [2]. Le conflit d’intérêts est évident, les banques sont financièrement incitées à minimiser, voire à nier le niveau de risque des encours. En outre, la complexité des calculs et le volume considérable d’informations à récolter, fait qu’il est très difficile de contrôler et de mettre en doute la parole des banques. Et pour que le tableau soit complet, un entre-soi très malsain existe entre les directions des grandes banques et les principaux services de l’État comme le Trésor, l’Inspection des finances et les organes de contrôle et de régulation. Les allers-retours de ce personnel hautement qualifié entre le public et le privé étant la norme [3].

Si le cadre juridique de la création monétaire existe, son application n’est pas assez stricte et laisse trop de place à l’interprétation et à la connivence pour qu’il soit réellement efficace. Dès lors, ne reste qu’une possible autorégulation. Qu’en est-il réellement ?

Too big too fail

Pour les économistes néolibéraux, l’absence de contrainte efficace par la loi n’est pas un problème car le marché est censé in fine s’auto-réguler. La concurrence opère une sélection naturelle : les banques mal gérées sont appelées à disparaître. Ainsi la peur de la faillite doit amener les cadres dirigeants à faire preuve de mesure dans l’octroi de crédit, et les actionnaires à favoriser le renforcement des fonds propres aux dividendes. Cette théorie, quoique discutable, pourrait éventuellement s’entendre si le secteur bancaire était réellement concurrentiel. Or, il n’en est rien, en France nous sommes face à un cartel de quatre acteurs qui se partagent plus de 90 % du marché [4]. Chaque banque représente un risque systémique et les répercussions d’une faillite seraient apocalyptiques pour l’économie française. C’est pourquoi elles bénéficient systématiquement du secours financier des États et des banques centrales lorsque les choses se gâtent. Politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), structure de défaisance, fond commun de créances etc.. Tous ces termes, volontairement abscons, sont en réalité les outils utilisés par les gouvernements et les banques centrales pour racheter les créances douteuses des banques privées afin d’assainir leur bilan et leur permettre de repartir à zéro ou presque.

Le scandale du Crédit Lyonnais (LCL) [5], de Dexia [6], la crise des subprimes de 2008 puis la crise grecque de 2011 [7] l’ont très largement prouvé.

Que ce soit par la loi ou par le marché, on le voit bien, le risque d’aléa moral des dirigeants et actionnaires des banques, c’est-à-dire la maximisation de leur intérêt individuel au détriment de la collectivité, n’est absolument pas maîtrisé.

Aucun garde-fou sérieux ne s’oppose à la logique folle de l’argent-dette.

3- La création monétaire comme outil de domination

Hyper-inflation

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater une véritable explosion de la masse monétaire en France. Pour le mesurer, on utilise l’agrégat monétaire M3 (pièces, billets, dépôts, livrets et titres de court terme) seul à même de donner une image fidèle pour la France, les agrégats M1 et M2 étant comptabilisés au niveau de la zone euro entière. Ainsi, on constate qu’entre 1987 et aujourd’hui, la masse monétaire M3 est passée de 500 à 2550 milliards en euros constants, soit une multiplication par 5 ! En 1987, la masse monétaire représentait 60 % du PIB de la France, aujourd’hui elle culmine à 108 % du PIB. Ceci veut dire que la création monétaire n’a pas suivi la croissance de l’économie. Si tel avait été le cas, nous aurions une masse monétaire M3 égale à 1 440 milliards et non pas de 2 550 milliards comme c’est le cas aujourd’hui. Ceci nous donne donc un excès de création monétaire de 1149 milliards d’euros [1]. C’est absolument considérable.

Cette profusion d’argent nouveau dans l’économie a pour corollaire une hyperinflation, c’est-à-dire que la valeur de la monnaie se déprécie fortement. En effet, les prix des biens et services, à quantité de production égales, augmentent mécaniquement afin de s’ajuster au nouveau volume de monnaie en circulation. En d’autres termes, 10 euros aujourd’hui offrent un pouvoir d’achat bien inférieur à ce à quoi on pouvait prétendre en 1987 pour le même montant (65 francs).

Et du fait des choix politiques des différents gouvernements qui se sont succédés depuis une trentaine d’années, l’inflation ne se pas propage pas dans l’économie de manière uniforme, ce qui a pour conséquence une explosion des inégalités.

Des riches toujours plus riches...

L’adage est connu : on ne prête qu’aux riches. La possession d’actifs diminue le profil de risque de l’emprunteur. Nous l’avons vu avec la méthode de calcul de risque des banques, prêter aux riches est non seulement plus sûr mais coûte moins cher pour les banques. Les plus riches sont favorisés dans l’allocation du crédit et cela à des taux d’intérêts plus avantageux. Ces derniers, ont ainsi pu faire jouer à plein ce qu’on appelle l’effet de levier : l’acquisition d’actifs financiers et immobiliers se faisant presque exclusivement par l’endettement. Les revenus générés par ces actifs, rentes ou loyers, venant rembourser l’emprunt.

Le droit a accompagné, voire favorisé ce phénomène, dans l’immobilier avec l’utilisation de sociétés civiles immobilières (SCI) [2], dans l’entreprise via des holdings permettant des montages de type LBO [3], et enfin dans la finance avec les produits dérivés [4]. La création monétaire et donc l’inflation se sont donc dirigées en priorité vers les actifs financiers et immobiliers, un cercle vertueux se mettant en place : l’endettement crée une demande, les prix montent, ce qui attire de nouveaux acteurs, qui s’endettent à leur tour etc… Les politiques fiscales des différents gouvernements ont amplifié ce mouvement en multipliant les niches et les possibilités de d’optimisation.

Ainsi, entre 1987 et aujourd’hui la valorisation boursière du CAC 40 a été multipliée par 20 [5], les prix de l’immobilier ancien à Paris par 6 [6] et la fortune des 500 Français les plus riches par 7 [7] ! Le nombre de millionnaires en France est en forte hausse : il dépassait les deux millions fin 2018.

...au détriment des classes inférieures

Avec le temps, l’effet richesse obtenu grâce à l’inflation du prix des actifs doit mécaniquement se résorber par le rattrapage des autres facteurs de production. L’inflation se diffusant progressivement dans l’économie par les échanges, elle finit par toucher uniformément l’ensemble de l’économie. Ceci nous permet d’affirmer que, même avec du retard, le coût du travail aurait dû rattraper le coût du capital. Or ce n’est pas ce que nous constatons. Depuis 1987 le SMIC mensuel, calculé en euro constant, n’a été multiplié que par 2.,3, passant ainsi de 637 à 1521 euros aujourd’hui [8]. Nous sommes très loin des multiplicateurs constatés pour les actifs financiers et immobiliers. Si le SMIC avait suivi la même progression que la masse monétaire, il s’établirait à 3248 euros.

Un tel scénario aurait immanquablement amené la France vers une hyperinflation généralisée et incontrôlée telle que l’a connue la république de Weimar dans les années 20, synonyme de destruction de valeur notamment pour les plus riches [9]. Dans de telles conditions, si l’organisation monétaire et financière en place veut se maintenir, le coût du travail doit être utilisé comme un contrepoids déflationniste afin de garder l’inflation sous contrôle. La politique de rigueur mise en place à partir de 1984 et qui a toujours cours aujourd’hui vise prioritairement cet objectif. Les salaires et les retraites sont comprimés tout d’abord par une indexation sur des chiffres qui sous-estiment l’inflation comme nous l’avons vu précédemment. Ensuite, par le gel du point d’indice pour les fonctionnaires, des pensions pour les retraités et des différentes allocations sociales.

Mais c’est surtout la politique d’immigration massive débutée dès la fin des années 70 et qui s’est amplifiée depuis, qui va avoir un impact décisif sur le coût du travail. Ce flux ininterrompu d’une immigration en âge de travailler a déséquilibré le marché du travail afin que, délibérément, la demande soit bien supérieure à l’offre. De cette manière, les salaires subissent une pression à la baisse qui neutralise l’ajustement au niveau d’inflation qu’ils auraient dû normalement connaître. Voilà pourquoi en parallèle de l’hypertrophie monétaire décrite plus haut, la France connaît sur la même période la présence d’un chômage de masse [10] que les manipulations statistiques cachent de moins en moins [11]. Un chômage de masse est la condition sine qua non du fonctionnement d’un système monétaire régi par l’argent-dette.

Cette relation entre chômage et inflation a d’ailleurs été théorisée par les économistes néo-libéraux dans le sillage de Milton Friedman via la théorie du NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment), c’est-à-dire, le taux de chômage minimum nécessaire à un contrôle de l’inflation. L’OCDE et le FMI ont calculé que celui-ci était égal à 9,2 % en 2014 pour la France [12]. Si on prend une définition non tronquée du chômage, c’est-à-dire, l’ensemble des personnes en âge de travailler qui ne travaillent pas, nous pouvons raisonnablement en conclure que ce taux se situe plus près des 20 % aujourd’hui en France.

Ce rôle crucial joué par le travail pour contrebalancer l’inflation induite par la création monétaire, explique qu’au-delà des déclarations de principe et des postures, aucune politique sérieuse ne sera mise en place pour combattre le chômage. Il en est exactement de même pour l’immigration. Les discours de fermeté ne sont qu’un leurre pour masquer en réalité une politique d’intégration toujours plus généreuse et de moins en moins exigeante quant aux critères requis pour intégrer notre société. L’incroyable bienveillance dont fait preuve l’État envers les migrants en leur payant l’hôtel, les soins et une allocation journalière, alors que dans le même temps de plus en plus de Français n’arrivent plus à subvenir aux besoins les plus primaires, en est une terrible démonstration.

Rouleau compresseur déflationniste

Cependant, le chômage et l’immigration ne sont pas les seuls leviers à disposition pour contrebalancer l’inflation induite par une hypertrophie monétaire. D’autres leviers efficaces existent, qui ne sont pas sans conséquences néfastes pour la société. Les premiers étant, sans aucun doute, les accords de libre-échange [13], ainsi que l’adhésion à l’OMC [14], qui permettent d’ouvrir grand nos marchés à des marchandises venues de pays à bas coût, ne respectant aucune norme sociale et environnementale. L’impact sur les prix est considérable. En effet, un tee-shirt venu du Bangladesh, ou un écran plat sorti d’une usine chinoises coûtent entre 5 et 20 fois moins cher à produire qu’en France. Dans le panier du Français moyen, c’est une bouffée d’oxygène qui lui a indéniablement permis de contrebalancer en partie les hausses de prix subies ailleurs. Cela s’est malheureusement fait au détriment de l’emploi sur place. Les délocalisations et l’incroyable désindustrialisation constatées en France depuis 40 ans en sont le corollaire. Là encore, on comprend pourquoi, malgré les promesses, aucune politique sérieuse n’a été mise en œuvre pour stopper ce phénomène.

Autre levier utilisé ces dernières années, l’uberisation [15]. Ce néologisme, provenant de la société californienne Uber, décrit comment les start-up mettent en relation directe les entreprises et les clients sur ces nouveaux marchés que constituent les plateformes numériques. Ainsi, dans de nombreux secteurs, ce phénomène vient bousculer des professions déjà établies et qui subissent souvent une concurrence déloyale de la part de ces nouveaux entrant qui ne respectent pas les mêmes contraintes réglementaires et sociales. Cela fut particulièrement criant dans des secteurs comme l’hôtellerie ou les taxis, de simples particuliers, sans enregistrement ni autorisation préalable, s’improvisant chauffeurs ou chambres d’hôtes. Cette concurrence déloyale permet un nivellement par le bas des conditions de travail et de l’encadrement social, ce qui autorise une compression des prix. Là encore, malgré les protestations, la timidité du gouvernement à y répondre s’explique par le besoin de contrebalancer l’inflation.

Enfin, le dernier levier, et sûrement le plus important pour les années futures, est la robotisation, c’est-à-dire, la substitution de tout travail humain par des machines. Cela est déjà largement avancé dans l’industrie. Les chaînes de montages automobiles connaissent des taux d’automatisation vertigineux. Les services commencent à être touchés. L’apparition de caisses automatiques dans les supermarchés ou l’émergence des voitures autonomes, dernier échelon vers un remplacement pur et simple des chauffeurs, déjà complètement assistées par les GPS, vont dans ce sens. Même les secteurs à très haute valeur ajoutée comme la recherche, la conception, la gestion, nécessitant connaissances et expertises, sont aujourd’hui en phase d’être concurrencés par des algorithmes de plus en plus complexes. L’intelligence artificielle réalisant des avancées stupéfiantes dans tous les domaines.

Conclusion

Lors de notre démonstration, nous avons expliqué que les chiffres officiels de l’inflation calculés par l’INSEE et utilisés par le gouvernement pour réajuster les salaires étaient complètement faussés. La France connaît en réalité une hyperinflation qui est le résultat d’une création monétaire totalement débridée et sans aucun garde-fou. Cette inflation se fait en majorité en faveur des plus riches, ce qui explique l’explosion des inégalités en France depuis plus de 30 ans. Inégalité aggravée par les politiques d’ajustement mises en place par les différents gouvernements afin de maîtriser l’inflation et éviter ainsi le scénario allemand de l’entre-deux-guerres.

Les classes moyennes et populaires sont prises en étau entre d’un côté une augmentation des prix qui grignote toujours plus leur niveau de vie, et de l’autre des politiques d’ajustement qui précarisent, voire détruisent leurs conditions de travail. Cette logique mortifère semble sans limite et nous conduit tout droit vers une société ultra-inégalitaire ou la richesse et le savoir sont concentrés entre les mains d’une infime minorité d’experts et de dirigeants. Le peuple, quant à lui, progressivement remplacé par des migrants ou des machines et donc plus utile économiquement, sera mis totalement à l’écart de la société. Les solidarités naturelles détruites par l’individualisme triomphant, la solitude et la dépression annihileront toute velléité de révolte citoyenne.

Face à ce tableau assez sombre, le mouvement des Gilets jaunes représente un formidable espoir et nous permet tout de même d’être optimistes pour le futur. Le peuple de France semble enfin avoir pris conscience de la gravité de la situation et être déterminé à changer les choses en profondeur. Pour qu’un tel projet aboutisse, il est impératif de réformer notre système monétaire afin que celui-ci ne soit pas un instrument de confiscation de la richesse au profit des plus riches, mais au contraire permette à chacun de vivre une vie digne pour lui et ses proches.

Ian Purdom

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